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Dans une tribune publiée par le quotidien Libération, Arnaud Montebourg dénonce en termes virulents les cadeaux fiscaux qui ont poussé Johnny Hallyday à devenir résident de Gstaad, dans les Alpes bernoises.

En classant la Suisse parmi «les voisins indélicats» qui financent «leurs besoins par la richesse des autres avec en prime, captation et délocalisation comme méthode de prédation», il a visé juste et déclenché un véritable tollé en Suisse et au Luxembourg. Mais, comme toujours, il s'est trouvé quelqu'un au PS pour mettre la pédale douce et Jean Louis Bianco a tenu à préciser que la lutte contre l'exil fiscal ne ferait pas partie des priorités de la candidate Ségolène.

En privé, un autre dirigeant socialiste est allé plus loin : «Franchement, Montebourg aurait pu s'abstenir. On lui a dit, au cours d'un repas, qu'il aurait pu se dispenser de tenir ces propos» !

Quant à Nicolas Sarkozy, il s'est adressé à son Johnny en ces termes : "Tu l’as fait, tu as bien fait !". Il a ainsi raté une occasion de se taire et démontré une nouvelle fois la dangerosité de ses propositions fiscales ultra-libérales et de sa candidature à la Présidence de la république.


La Suisse accueille Johnny dans un de ses cantons mais les cantons suisses se livrent aussi entre eux à une concurrence fiscale ; un petit jeu qui consiste à aller piquer les contribuables les plus riches dans les cantons voisins en espérant que les finances locales du canton «voleur» iront mieux.

Un jeu malsain entre les cantons car au bout du compte cette concurrence fiscale fait des dégâts importants, notamment parmi ceux qui dépendent des prestations publiques : les enfants qui ont besoin d’école, les malades qui ont besoin d’hôpitaux, les personnes en difficulté qui ont besoin de protection sociale, etc.

Par contre, lorsque la concurrence fiscale est réduite entre les cantons, et quelquefois à l’intérieur d’un même canton, l’intérêt général s’en porte mieux. Dans les cantons ayant réduit par exemple la concurrence entre communes, les problèmes financiers sont absents et les problèmes de qualité de la gestion communale ne sont plus en cause…

S’il faut limiter la concurrence en Suisse, il faut la limiter également à l’échelle européenne en proposant une certaine harmonisation des pratiques fiscales. Cette harmonisation fiscale, que l’Europe n’a jamais mise en place, passe au préalable par la disparition de certains paradis fiscaux européens : Suisse bien sûr mais aussi Luxembourg, Liechtenstein, Monaco, pour ne citer que ces pays, et par l’interdiction du secret bancaire.

On ne compte plus les multinationales qui ont «déménagé» leur siège social vers Genève ou d’autres cantons suisses. D’après la Confédération internationale des syndicats libres (CISL), ce seront bientôt 1 400 sièges sociaux qui partiront en Suisse, soit l’équivalent de 32 milliards d’euros de recettes fiscales sur les profits de ces entreprises !

Tous les pays européens sont concernés. On pense notamment à l’Italie et à l’Espagne, deux pays gouvernés par la gauche, mais aussi à l’Allemagne, dont le fisc est sans cesse confronté à l’évasion de capitaux et à l’exil de personnalités fortunées vers la Suisse.

La commission de Bruxelles et la BCE devraient cesser de tolérer de telles pratiques et d’excuser tel ou tel pays qui, pour se justifier, se réfugie souvent derrière les pratiques similaires des pays voisins.

La France devrait faire aussi le ménage à l’égard de Monaco et de l’Andorre. Le général de Gaulle n’avait t-il décréter en 1963 un blocus contre la principauté de Monaco qui dut ainsi plier l’échine devant les exigences fiscales de la République Française ?

En «comprenant» le geste de Johnny Hallyday, Nicolas Sarkozy estime en fait que l’exil de son ami illustre avant tout le poids excessif des impôts en France. Mais il se garde bien de préciser qu’il s’agit uniquement des impôts sur le revenu et qu’il n’a pas l’intention de toucher aux impôts indirects, bien plus importants que les impôts sur le revenu.

Nicolas Sarkozy méprise ainsi tous ceux qui n’ont pas d’autre choix que de payer les impôts indirects et taxes diverses qu’on réserve aux plus pauvres pendant que ses amis politiques baissent l’impôt sur le revenu pour les plus riches.

L’impôt républicain progressif sur l’ensemble des revenus n’alimente plus qu’à 20% environ le budget de la France, un peu plus de 80% étant constitué par les impôts indirects et taxes de toute sorte. La situation devient pire que dans la plupart des grands pays capitalistes, y compris les Etats-Unis.

Le candidat de l’UMP, investi par son parti le 14 janvier, envisage même de rendre la France plus attractive en supprimant l’impôt sur les successions et en modérant celui qui pèse sur les grandes fortunes !

Il n’est pas opposé non plus à la concurrence fiscale entre les pays européens !

Si les dernières propositions fiscales de Nicolas Sarkozy voyaient le jour, la fin de l’impôt républicain serait proche. Sans le dire ouvertement, le candidat Sarkozy rejoindrait ainsi le seul candidat qui propose de supprimer l’impôt progressif sur les revenus, à savoir Jean Marie Le Pen !


"Du bon usage politique de l’incivisme de Johnny" par Arnaud Montebourg (extraits)

Bien sûr que l’indignation était nécessaire. Comment accepter qu’un artiste aussi incontestable que Johnny Hallyday exerce un chantage aussi contesté sur les choix redistributifs du législateur, en annonçant qu’il reviendrait en France quand son ami Nicolas Sarkozy accéderait enfin au pouvoir pour supprimer l’impôt de solidarité sur la fortune.

Sait-il qu’en refusant de payer son écot aux besoins de la maison France, qui l’a élevé et chéri, il injurie tous les autres citoyens qui participent avec conscience au financement de l’intérêt général et qui paient leurs impôts sans sourciller et n’ont pas le loisir d’aller s’ennuyer à Gstaad six mois par an ? Il méprise aussi ceux qui n’ont pas d’autre choix que de payer les taxes qu’on réserve, et particulièrement ses amis de droite qui nous gouvernent, aux plus pauvres parce que ceux-là sont plus nombreux.

Cet incivisme est d’autant plus grossier que son auteur sait parfaitement demander et obtenir que ses spectacles itinérants soient subventionnés par les collectivités locales où il s’arrête : pour rendre accessible le prix de la place, les contribuables locaux paient, et Johnny encaisse les bénéfices qu’il veut maintenant faire échapper à la juste contribution de l’impôt. Avant de partir à Gstaad, Johnny devrait rembourser les caisses publiques pour, qu’avant sa fuite, il ait au moins désintéressé les contribuables qu’il prétend défendre.

Mais l’essentiel n’est pas là. Il est dans le fait, inaperçu dans cette affaire, que la Confédération helvétique pose autant de graves problèmes que Johnny lui-même. Sait-on que la plupart des sièges sociaux, centres de profits des grandes entreprises transnationales ayant leur activité en Europe (Hewlett-Packard, Gillette, Procter & Gamble, Ralph Lauren, Colgate Palmolive, Pfizer, Cisco, General Motors, Amgen, Biogen, Philip Morris, Medtronic, Iridian Technologies, entre autres), sont allés s’installer dans les républiques cantonales de la Confédération helvétique et particulièrement celle de Genève ? Ce sont des milliards d’imposition sur le capital qui sont partis en fumée pour les caisses publiques des Etats européens, obligeant ceux-ci à suivre le mouvement de baisse fiscale généralisée sur le capital dans toute l’Union, et ce afin de résister à cette concurrence fiscale dommageable ou « dumping fiscal », et reportant la charge de la solidarité nationale sur l’imposition du travail.

La république de Genève propose aux sièges sociaux des entreprises un taux d’imposition de 6,4 % contre 33 % en France, 30 % en Angleterre, environ 30 % en Allemagne. Il est par ailleurs démontré que ce paradis fiscal pratique des taux d’imposition sur mesure, négociés préalablement avec l’entreprise et pour une durée préfixée et hors la vue de son propre parlement. Pour quelle raison aucun des gouvernements européens n’a réagi contre ces pratiques prédatrices ? Car, en vingt ans, le taux moyen européen de l’impôt sur les sociétés est passé de 45 % à 30 %.
Accepter la baisse continue des taux d’imposition sur le profit des entreprises, c’est accepter, en plus de la sous-rémunération du travail, la surfiscalisation de tous ceux, salariés, travailleurs indépendants, artisans, commerçants, retraités, qui ne vivent que de leur travail.

Les gouvernements libéraux européens, et particulièrement celui de Nicolas Sarkozy, loin de s’offusquer de cette perte de substance fiscale, s’appuient au contraire sur les basses pressions fiscales des paradis fiscaux voisins pour imposer à leur population par la pression de l’extérieur ce qu’ils savent ne pas pouvoir obtenir d’elle par son libre consentement. Ils expliquent sans cesse l’obligation de baisser les impôts sur le capital, la fortune et le patrimoine, afin, disent-ils, d’améliorer l’attractivité de leur pays sur le plan fiscal, justifiant ainsi les récurrentes hausses d’impôts indirects en tous genres qui frappent les petites bourses, une fiscalité accrue sur le travail ou des restes à charge pour payer la solidarité nationale dont les grandes entreprises ou grands patrimoines veulent s’exonérer.

Cette défense classique des privilégiés par l’extérieur nous rappelle avec saisissement la Révolution française faisant face aux cortèges d’émigrés, qui pour défendre les privilèges d’une noblesse dépourvue d’esprit national, ralliaient à Coblence les armées des monarques de l’Europe en lutte contre le sens républicain de l’Histoire. Cette situation explosive, créée par les pratiques prédatrices des paradis fiscaux sur le continent européen, sert à leur tour les privilèges contemporains des entreprises multinationales, de leurs actionnaires et des grands patrimoines, en contribuant à accabler d’impôts les autres couches sociales.

Les gouvernements des Etats européens ne peuvent plus accepter les abus de voisins indélicats, comme la Confédération helvétique, qui prétendent nous donner des leçons de modérantisme fiscal, pendant qu’ils font financer leurs besoins par la richesse des autres, avec en prime captation et délocalisation comme méthode de prédation. Qu’ils nous prennent Johnny Hallyday ou Alain Delon, passe encore, mais la substance de nos gisements fiscaux, ceux-là même nécessaires pour alléger la charge du financement de la solidarité nationale pesant sur le travail, nous ne pourrons plus nous en laisser déposséder.

Les grands pays européens devront s’unir dans cette perspective afin de construire les conditions d’un changement radical de comportement de ces paradis à nos portes qui, si nous restons les bras ballants, nous préparent l’enfer fiscal.

© Libération, janvier 2007

Photo Flickr-cc : Johnny Halliday par lune noire (http://www.flickr.com/photos/lunenoire/)
Tag(s) : #Europe - International
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